L'Indépendant Edition du 03 12 2009
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Quelle est donc la "formule magique" qui parvient à faire pousser sous terre la truffe ? Certains parlent du sol, d'autres de la pluviométrie, d'autres encore évoqueront la lune. Bref beaucoup d'hypothèses mais pas de certitudes. Bon nombre de trufficulteurs seraient sans doute prêts à payer un sacré prix pour connaître la clé du mystère de ce champignon si parfumé, aujourd'hui un des produits alimentaires les plus chers au monde. Chers car rares. Au début du siècle, 1 500 tonnes de truffes étaient récoltées tous les ans en France. Aujourd'hui, la
production est devenue anecdotique avec environ 45 tonnes annuelles. Autre fait inquiétant, les truffières naturelles sont en train de disparaître à grande vitesse. En Languedoc-Roussillon, il n'y a que 5 % des truffières qui sont naturelles. Les 95 % restant, soit 2 000 à 3 000 hectares dans la région, sont des plantations réalisées par l'homme. "Mais on n'a pas de garantie de rendement", explique Philippe Barrière, secrétaire de la fédération régionale des trufficulteurs du Languedoc-Roussillon.
La recherche de l'idéal
Une étude a été lancée l'an dernier par les régions Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées, Catalogne et Navarre avec pour objectif de faire apparaître un "idéotype". Comprenez en langage moins scientifique un idéal de production. Benoît Jaillard, chercheur à l'Inra et qui pilote le projet, explique l'intérêt d'une telle étude. "Ça nous permettra de montrer sans doute qu'il y a plusieurs types de truffières et de faire émerger les paramètres d'une réussite ou d'un échec". Et de systématiser ainsi la production de truffes. Pour parvenir à ce résultat, Benoît Jaillard s'est adressé à ceux qui travaillent la truffe tous les jours, les trufficulteurs. Un pré-questionnaire a été envoyé à 950 d'entre eux dans la région. Le chercheur a reçu 250 réponses qu'il a classées par groupe d'intérêt. A partir du printemps 2010, Benoît Jaillard va se rendre sur les truffières du Languedoc-Roussillon pour des mesures topographiques, de rayonnement, et des prélèvements de terre, notamment. Les mêmes expériences seront menées en Midi-Pyrénées mais aussi de l'autre côté de la frontière. Avec tous ses renseignements, viendra le temps de l'analyse pour parvenir à "l'idéotype" et "savoir si on est capable ou pas de corriger les pratiques, le choix des sols...", explique le scientifique. L'étude devrait prendre fin d'ici un an. Et si elle parvient à son objectif, il devrait être plus facile de "cultiver" la truffe. Voilà une bonne nouvelle pour les gourmands, mais une nouvelle qui pourrait bien enlever de l'intérêt à ce champignon si particulier et si rare !
COULEUR LAURAGAIS
La truffe : un champignon encore peu connu
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Cet automne 2006 a été exceptionnel en ce qui concerne la production de champignons ! Qu'en est-il de la
truffe ? La production nationale au début du siècle était de 1000 tonnes, alors qu'actuellement elle n'est plus que de 100 tonnes. L'envahissement des broussailles qui étaient
contrôlées par le pastoralisme empêche la lumière de parvenir au pied des arbres ce qui lui est défavorable.
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La truffe, un champignon au parfum |
Qu’est-ce qu’une truffe ?
La Truffe n'est pas une excroissance qui se produit sur les racines de certaines plantes, ni une galle comme on l'a longtemps pensé. C'est un champignon appartenant à la famille des ascomycètes (car les spores sont enfermés dans des sacs ou asques) et qui a cependant deux particularités : celle d’être souterrain (hypogé) et celle de vivre en symbiose avec un arbre (chêne, noisetier, pin, tilleul…). Ce champignon est donc mycorhizé, ce qui veut dire qu'il a besoin d'un arbre hôte, et saprophyte, car il se nourrit de matières organiques de végétaux en décomposition.
Il produit chaque année des fructifications appelées carpophores, en forme de tubercule globuleux. Elles sont arrondies, irrégulières ou lobées : ce sont les truffes proprement dites. Elles sont enfouies dans le sol à une profondeur de 5 à 30 cm. De taille variable (généralement de 5 à 10 cm de diamètre), son poids moyen varie entre 20 et 100 g. Elle peut toutefois atteindre les 500 g, voire plus : le record de la plus grosse truffe jamais trouvée est de 10,5 kg ! Quand on sait qu’un kilo de truffes se négocie, en fonction de la qualité et des années, entre 500 et 1000 € …!!!
De nombreuses variétés
Nous allons citer les plus connues, cela vous aidera à reconnaître les bonnes espèces. Au prix que cela coûte, mieux vaut être averti !
Tuber mélanosporum ou Truffe noire du Périgord :
- Période de récolte : De mi-novembre à mi-mars. Son péridium (enveloppe extérieure) composé de petites verrues de forme polygonale est de couleur brun foncé, noir à maturité. - Forme : Arrondie, voire légèrement bosselée. Sa chair est noire violacée à maturité. Ses veines sont fines, bien marquées et ramifiées ; blanches à la coupe, elle rougissent légèrement à l'air. - Parfum : Au nez, un parfum de champignon sec, d'humus, de sous bois humides. En bouche, elle est moelleuse et croquante ; d'abord épicée avec un léger goût de radis noir, puis une saveur de noisette et pour terminer une présence d'humus boisé, parfois de terre au contact du péridium.
Tuber brumale ou Truffe d’hiver :
- Période de récolte : De novembre à mars. Son peridium, de couleur brun foncé, noirâtre est fragile, se décollant facilement.
- Forme : Arrondie et bosselée, sa chair est d'un gris noir, translucide, les veines blanches sont épaisses et espacées, le
péridium n’est jamais rougeâtre avant maturation.
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- Parfum : Au nez, un parfum agréable parfois, mais souvent fort, musqué. En bouche, une certaine amertume et un goût d'humus
légèrement terreux.
Tuber aestivium ou Truffe de la Saint Jean : - Période de récolte : De mai à septembre. - Forme : Arrondie ou bosselée, elle est généralement de grosse taille. Son péridium est brun noirâtre. Sa chair devient beige à maturité ; ses veines sont blanches, fines et nombreuses. - Parfum : Au nez un faible parfum de champignon et de sous bois, en bouche un goût amer et de terre. Tuber mesentericum ou Truffe d’automne : - Période de récolte : De septembre en janvier. - Forme : Arrondie ou irrégulière, au peridium très noir couvert de verrues aplaties de 3 à 5 mm, serrées au sommet. Cette truffe est toujours pourvue d'une fossette basilaire. Elle est plutôt de petite taille, pouvant atteindre celle d'un oeuf. Sa chair ferme, d'abord gris brun, puis marron foncé voire chocolat à maturité. Elle est pourvue de veines blanches formant un labyrinthe. - Parfum : Au nez pas toujours agréable, souvent forte, avec un arrière parfum de phénol disparaissant quelque temps après l'extraction. Bien qu'amère en bouche, elle mérite d'être apprêtée avec certain mets. Tuber uncinatum ou Truffe de Bourgogne : - Période de récolte : De septembre en janvier. - Forme : Arrondie ou bosselée. Sa chair à maturité est d'un brun foncé ; les veines sont blanches et très nombreuses. - Parfum : Au nez, une odeur de champignon, en bouche, le goût est variable ; bien mûre, le côté amer disparaît laissant apparaître une douceur de noisette. Tuber magnatum ou Truffe blanche du Piémont ou d'Alba : - Période de récolte : De septembre à décembre. (On la retrouve particulièrement sous les peupliers.) - Forme : Aspect globuleux et nombreuses fossettes sur le péridium qui la rendent irrégulière. La surface est lisse et légèrement veloutée. Sa couleur varie de l'ocre pâle au beige foncé jusqu'au verdâtre. Sa chair est unique, d'un blanc jaune grisâtre aux fines veines blanches. - Parfum : Agréablement aromatique mais différent de celui des autres truffes : odeur d’ail, d’échalote. |
A la recherche du Diamant Noir
Le cochon raffole des truffes qu'il repère grâce à un odorat très sensible, fouillant ensuite la terre avec son groin jusqu'à
déterrer le champignon. L'avantage de ce penchant naturel est que l'animal n'a pour ainsi dire pas besoin d'être dressé. Il est alors retenu pour qu'il ne dévore pas les truffes.
Après quoi on le récompense avec des fèves qu'il apprécie également beaucoup. Le chien constitue de loin la solution la plus pratique, et par là-même la
plus efficace. Il faut cependant noter qu'à l'encontre du cochon, le chien ne cherche pas des truffes par goût, mais parce qu'on l'a dressé pour cela. Il est donc moins motivé et
l'efficacité d'un sujet à l'autre peut varier considérablement. Il faut arriver à lui faire comprendre qu'il lui suffit de gratter légèrement la terre à l'endroit où il a senti la
truffe pour être récompensé. La récolte débute en novembre, lorsque les premières truffes arrivent à maturité avec
un parfum développé, et se poursuit jusqu'au mois de mars.
La truffe repose généralement dans un humus riche en calcaire, se délecte des hydrates de carbone que lui prodigue l'arbre avec lequel elle a lié amitié. |
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Répondons maintenant aux questions de nos lecteurs :
Cécile : Comment acheter des truffes si on n’y connait rien ?
- Méthode sans risque : vous vous rendez chez un conserveur ; vous acceptez de payer 20% plus cher, mais la qualité est garantie et elles sont déjà brossées et triées. -
- Vous cotoyez une personne qui détermine la qualité des truffes : par exemple, sur le marché de Moussoulens (Aude), un technicien de la chambre d’agriculture est chargé de cette
mission.
Ainsi, au fur et à mesure des rencontres, votre expérience dans la connaissance des truffes s'affinera.
Jérome : Comment bien choisir les truffes en conserve ?
Préférer les truffes entières, pour lesquelles la fraude est plus difficile. Bien lire l'étiquette mentionnant le nom de l'espèce : magnatum (truffe blanche du Piémont, la plus chère),
melanosporum (truffe noire du Périgord), uncinatum (truffe de Bourgogne) sont de bonne qualité. Aestivum, indicum (truffe de Chine), borchii, brumale sont de qualité moindre. Acheter des
truffes de première ébullition (une deuxième cuisson enlève toute la saveur de la truffe).
Fanny : Sur le terrain, où peut-on trouver des truffes et plus particulièrement dans la région ?
Un peu partout ! En France, les plus grosses régions productrices sont la Drome, le Vaucluse et le Lot. En ce qui concerne la région, vous pouvez aller en Montagne Noire. Mais aussi au
marché aux truffes de Moussoulens lors des Ampélofolies du Cabardès. Les brûlés (herbes et mousses desséchées laissant le sol nu par endroit et formant un cercle plus ou moins régulier sous
un arbre) indiquent l’endroit où se trouve le mycelium.
Alexandre : Et combien ça coûte ?
Le prix varie selon les années, la qualité, le terroir ; 2004 et 2005 ont été de très mauvaises années ; 2006 s’annonce comme une très bonne année ; il faut compter de 700 à 1000 € le
kilo.
Clara : Quand acheter de la truffe ?
Evidemment, nous ne parlons ici que de truffes fraîches. Selon la variété, l’époque de récolte est différente ; pour ne parler que de la tuber melanosporum, la récolte s’étend de
mi-décembre à fin mars, la tuber uncinatum dégage tout son arôme de septembre à fin novembre. Ce qui veut dire qu’elles ne sont pas mûres toutes en même temps !
Mathieu : Je suis agriculteur et je voudrais planter des arbres truffiers : où dois-je m’adresser ?
Tout d’abord, il faut que votre terrain convienne, ensuite il existe pratiquement dans chaque région une Fédération de trufficulteurs. Midi-Pyrénées : FRTMP - 46230 Lalbenque Tél./Fax :
05 65 31 62 72 ; Languedoc-Roussillon : FRTLR - Chambre d’Agriculture Carcassonne - Tél. 04 68 11 79 92
Aurélie : J’ai acheté des truffes sur le marché, mais je voudrais en conserver quelques-unes : comment faire ?
Tout d'abord, les brosser sous un filet d’eau froide et les sécher soigneusement. Ensuite, il y a deux types de conservation :
- longue : au congélateur ou stérilisées (deux heures avec un peu d’eau au fond de la conserve).
- courte : dans du vin blanc salé, au réfrigérateur (conserve un peu plus de 15 jours) ; on utilise alors le vin pour des faire des sauces. On peut aussi mettre la truffe dans un mélange à
part égale de fine du Languedoc et de vin blanc, la conservation peut durer plusieurs mois…
Victor : Vous nous donnerez bien une recette ?
Idées de préparation de la truffe voir la rubrique gastronomie
Avec le concours de Serge Ramel, Pharmacien,
et Gérard Salvayre, Secrétaire et Responsable de la
Communication de l'Association "Ampélofolies du Cabardès"
Couleur Lauragais n°88 - Décembre 2006 / Janvier 2007
Libération 23/12/2008
Noir désir. On fouille son génome, on écume son gîte, on surveille ses liaisons avec les chênes pubescents… Avec un but : trouver la recette de la domestication du «diamant noir». Le champignon se dévoile lentement.
0 (REUTERS)
C’est la quête du Graal, version terroir périgourdin. Et celui qui le trouvera comblera les gastronomes ensorcelés par son fumet de truie en chaleur. Malgré des siècles d’épanouissement dans les assiettes les plus nobles, la truffe, fille de basse extraction (souterraine), résiste face à tous ceux, scientifiques et amateurs, qui tentent depuis un siècle, de dévoiler les secrets de sa croissance. En 1880, les choses étaient encore simples : les paysans pensaient que la truffe était pondue par des mouches, ou qu’elle naîssait de façon spontanée des amas de feuilles en décomposition. La truffe était ou n’était pas… Mais la science des champignons et levures progressant dans la foulée des découvertes de Pasteur, l’idée de la maîtriser commence bientôt à faire son chemin dans les campagnes les plus reculées. En 1914, le docteur Louis Pradel, originaire de Sorges, dans le Périgord, publie un manuel de trufficulture. Se décrivant comme un «trait d’union» entre la science et les hommes de terrain - les «travailleurs» -, il y mêle observations et hypothèses des botanistes. «L’enseignement à donner en vue de la trufficulture ne peut être divulgué que par l’alliance féconde de la science et de la pratique», écrit-il. Presque un siècle plus tard, c’est encore vrai.
Henri Dessolas fait partie des «travailleurs». Qu’il vente ou qu’il neige, qu’il pleuve ou qu’il cogne, cet octogénaire visite quotidiennement ses arbres truffiers avec Sully, son Jack Russell au flair affûté. Plantés en terrasse sur quatre hectares non loin de Sorges, dans le Périgord, pins d’Alep, chênes pubescents, chênes verts, hêtres, noisetiers, tous produisent de la truffe. Combien ? Petit sourire de l’ancien. On ne saura pas. Dans le milieu, Dessolas est un original qui a réussi l’exploit de faire pousser de la truffe là où personne n’en attendait. Il a développé une méthode culturale simple comme une formule de bail locatif : 3-6-9. «On bichonne l’arbre pendant trois ans, on le taille, on travaille le sol, et on récolte au bout de six à neuf ans.» Il mêle des essences favorables aux champignons à proximité de ses arbres truffiers : ciste, lavande, pêchers… Observateur forcené de la vie et des mœurs de la truffe, il a eu l’idée de rééditer l’ouvrage de Louis Pradel, augmenté des résultats des dernières recherches en cours.
Produit d’une affinité particulière entre un champignon, un sol et un arbre, la truffe est en effet un objet très prisé par la science. On sait aujourd’hui qu’elle est le fruit d’un mycélium, forme filamenteuse d’un champignon qui se développe sous terre et vit en association avec les racines de certains arbres. De cette relation, naissent des mycorhizes, organes mi-champignon, mi-végétaux, dont profite à la fois l’arbre (elles leur apportent des sucres notamment) et le champignon (les mycorhizes produisent du mycélium dont sortiront, parfois, des truffes, lesquelles portent les spores du champignon). De fait, tout trufficulteur sait que s’il ne cave pas (c’est-à-dire récolter) la truffe à temps, en hiver, elle s’ouvrira en février-mars et disséminera sa semence dans l’environnement…
Comment et pourquoi se forme cette étrange protubérance souterraine ? Quels sont les facteurs environnementaux ou génétiques qui contrôlent la fructification du mycélium ? C’est Le mystère que tentent de percer des dizaines de chercheurs, surtout en France, en Italie et en Espagne. Depuis sept mois, un consortium d’une demi-douzaine de labos français et italiens analyse la séquence du génome de Tuber melanosporum (lire page 23), la truffe noire du Périgord, réalisée au génoscope d’Evry. «Nos équipes décortiquent, analysent et tentent de donner un sens à tous ces enchaînements de nucléotides, explique Francis Martin, directeur de recherche à l’Inra de Nancy. Un projet d’environ 10 millions d’euros. On ne sait toujours pas pourquoi, ni comment, fonctionne la symbiose entre l’arbre et le champignon. On ne sait pas non plus grand-chose des mécanismes de formation de la truffe même.» Ces inconnues rendent le rendement des truffières très aléatoire : un arbre peut donner 5 kilos de truffes une année et puis plus rien pendant dix ans. «Il est fini le temps où une truffière était considérée comme une simple plantation d’arbres susceptibles de produire des truffes, dit le biologiste Jean-Claude Pargney, de l’Académie lorraine des sciences. Le sol, les besoins hydriques et nutritionnels des arbres et du champignon, les plantes accompagnatrices, la faune et la microflore du sol sont venus alimenter les réflexions. Une truffière est un système complexe.»
Sans attendre de tout savoir sur ce «système complexe», pourrait-on parvenir à le domestiquer et faire pousser la truffe à gogo comme un vulgaire champignon de Paris ? Les tentatives pour maîtriser sa production ont pris un tour sérieux quand les botanistes ont compris que la truffe libère des spores qui peuvent rester en sommeil ou se développer sous terre, à condition de disposer d’un arbre hôte. Ces spores ne seraient-elles pas «collées» sur les glands de chênes truffiers ? Au début du XXe siècle, les trufficulteurs se mettent à les récolter et les semer. Avec des succès incertains, qui vont toutefois inspirer quelques chercheurs avisés. Dans les années 70, des biologistes de l’Institut national de recherche agronomique (Inra) mettent au point avec des scientifiques turinois le «plant mycorhizé» : un jeune plant d’arbre dont les racines ont été mises en contact avec du mycélium de truffe noire, la fameuse Tuber melanosporum. C’est l’innovation qui révolutionne la truffe.
A Saint-Maixant (Gironde), entre le domaine de François Mauriac et la tombe de Toulouse-Lautrec, la société Agri-truffe prospère dans le silence d’immenses serres blanches. Elle produit plus de 300 000 plants mycorhizés par an. Le principe est simple : en décembre, Agri-truffe achète des glands (entre 5 et 7 euros le kilo) de chênes truffiers, et les fait pousser durant deux mois. Parallèlement, la société concocte un substrat de calcaire, de terre et de truffes congelées, broyées, «pour libérer les spores du champignon dans le sol». Lorsque les jeunes plants atteignent deux mois, ils sont placés sur le substrat truffé. «Et la nature fait le reste», explique le PDG, Damien Berlureau. Avec 120 000 unités commercialisées chaque année - soit un tiers des plants mycorhizés produits dans le monde - la société affiche un chiffre d’affaires proche du million d’euros. La licence appartient à l’Inra, et chaque pépinière (Agri-truffe, mais aussi ses concurrents Robin et Naudet) lui reverse une dîme - environ 5 centimes d’euro - pour chaque plant vendu. En contrepartie, l’Inra appose son auguste logo sur les plants et contrôle qu’ils sont bien mycorhizés avec Tuber melanosporum, la reine des truffes. «Sans la technologie truffière, on ne trouverait plus de truffe en France. Mais si la science parvenait à révéler tous ses mystères, le produit perdrait de son intérêt, estime le jeune PDG. C’est une quête quasi-mystique.» Pas pour tout le monde : le marché à la clef est considérable. 20 000 familles récoltantes se répartissent 150 millions d’euros les bonnes années.
Le plant mycorhizé a indubitablement relancé la trufficulture en France : environ 1 000 hectares d’arbres truffiers sont plantés chaque année. «Un arbre produit environ vingt à trente ans. Mais on ne connaît pas le turnover, le nombre d’hectares arrachés ou inexploités», relève Damien Berlureau. L’innovation a «boosté» les plantations, de concert avec l’intense lobbying pratiqué par la Fédération française de la trufficulture auprès des élus à l’Assemblée nationale : exonération d’impôt foncier, subventions… Il reste que la trufficulture, malgré les plants mycorhizés, malgré les aides, demeure une activité agricole plus qu’aléatoire.
En quarante ans de pratique, Henri Dessolas aura compris deux ou trois choses qu’il transmet aujourd’hui à son petit-fils Bastien. Agé de 23 ans, cet éclairagiste envisage une reconversion comme consultant en trufficulture. Il a saisi l’essentiel : «la truffe ne se donne à personne ».